Méthodologie de recherche

Comment faire de la généalogie situationnelle

Construire et déterminer les sources

À partir de quoi pouvons-nous retrouver et reconstituer une vie familiale et individuelle passée ? C’est là le rôle joué par les sources.

Le préalable à toute recherche est la constitution d’une base de recherche avec le client. Peu d’informations sont nécessaires pour une famille assez stable sur le plan géographique ; en revanche, face aux cas particuliers, une simple information orale peut se révéler vitale. Généralement, cette étape a lieu lors des premiers échanges avec le client.

Lorsqu’un individu passe par une entité administrative, il laisse une trace. Ainsi, dans le monde généalogique, ce ne sont pas les individus qui produisent des traces, mais les entités. Ces traces sont des “archives”. Il faut déterminer, en fonction des cas, si telle ou telle situation a pu donner lieu à une production d’archives, afin d’en tirer des informations exploitables. Puisque la généalogie est avant tout affaire de filiation (nous travaillons sur une famille), il est possible de distinguer des sources primaires, qui servent à constituer le “squelette” de la recherche elle-même, à savoir la famille, et les sources secondaires, qui servent à lui donner du concret et de la vie, c’est-à-dire toutes les sources d’informations exploitables en série.

Les sources primaires les plus essentielles sont les plus connues : il s’agit en France de l’Etat-Civil et, ici comme un peu partout ailleurs, des registres d’Eglise. Ces sources nous donnent les individus et la constitution de la famille (parentés, lieux de vie), ainsi que les bornes de chaque vie individuelle (naissance, mariage, décès) et quelques informations complémentaires de manière irrégulière. A partir de la base de recherche, nous remontons le fil de l’histoire familiale en consignant d’une manière raisonnée les informations contenues dans chaque archive produite. Cette phase de recherche est manuscrite (nous employons un cahier mis en forme pour l’occasion), et passe aussi bien par la consultation de registres papiers, que de registres numérisés et de bases de données pour gagner un temps précieux dans la recherche d’une date ou d’un lieu muet. Aucune information n’est reprise d’une source généalogique extérieure : seules sont exploitées les informations contenues dans les sources primaires elles-mêmes. Autrement dit, nous pouvons chercher une piste ailleurs, mais toujours dans le but d’aller la vérifier ensuite.

Cahier de dépouillement des sources primaires

Cahier de dépouillement des sources primaires

Une fois les sources primaires dépouillées, nous obtenons pour chaque génération une liste de couples d’individus, avec pour chacun une naissance et un décés, un ou plusieurs mariages, et toute une série d’informations annexes contemporaines de ces événements (professions, adresses et résidences notamment). Ce sont autant d’ouvertures à d'éventuelles sources secondaires. Ces sources complémentaires sont envisagées dans un ordre précis : la première, très connue depuis une dizaine d’années, provient des archives du recrutement militaire, pour la simple raison qu’elle est la plus étendue et la plus susceptible de concerner les hommes de la famille, et d’apporter une certaine histoire. Ce privilège est lié à la situation française (la conscription a longtemps fait partie de notre culture) et à l’importance des deux guerres mondiales. La numérisation de sources supplémentaires (avant 1870), qui continue de progresser, permet désormais de travailler sur le parcours militaire jusqu'à la Révolution. Pour chaque homme, on détermine la date du service militaire probable, on recherche son parcours effectif, et l’on explore ensuite les sources annexes liées à ce parcours (guerre, résistance, etc.).

La seconde source complémentaire majeure réside dans les archives professionnelles. Ces fonds, d’origine privée, permettent de donner corps à l’activité quotidienne d’un individu. Certaines entreprises tenaient un suivi très précis de leurs employés (comme les Mines de Lens). On détermine qui peut être concerné par l’existence d’un fonds professionnel, puis l’on recherche, au cas par cas, les informations pour chaque individu. La plupart du temps, cela ne concerne que les fonctionnaires, l’enseignement, les grandes entreprises nationales ou nationalisées (mines, chemin de fer, électricité), et certaines industries demeurées privées mais de grande importance. Nous avons la chance d’avoir ces fonds à proximité, aux ANMT de Roubaix, dans le Nord.

D’autres sources régulières existent : les archives de la santé, qui s’ouvrent peu à peu, permettent de mettre un nom sur les fins de vie accidentelles ou sur les maladies qui ne sont parfois que suggérées dans l’Etat-Civil, voire laissées à l’expérience et à l’intuition du chercheur. Les archives de la vie politique, depuis la Révolution ou, surtout, depuis la Restauration, situent l’individu dans la vie locale, surtout à partir de 1870 et dans les petites communes. Enfin, en fonction des découvertes et des familles, le talent du chercheur permet d’aller à la recherche d’autres fonds ignorés au premier abord…

Ici et ailleurs : l'étranger

Il n’est pas rare, surtout dans le Nord de la France, de faire face à des mouvements de population importants. Ainsi, on se tourne facilement vers la Belgique, tant néerlandophone que francophone. Grâce aux investissements belges dans la numérisation des archives de chaque province, mais aussi à celui des mormons, la plupart des registres d’Etat-Civil et d’Eglise de l’actuelle Belgique sont numérisés. La barrière de la langue n’est pas ici un problème, d’autant plus que la forme de ces archives fut largement inspirée par le modèle français, suivant les conquêtes de la France sur ce territoire après la Révolution.

Bien que les archives numérisées soient de plus en plus étendues au fil des années, certains pays demeurent assez fermés. La Suisse et l’Espagne par exemple, auxquels nous avions eu affaire pour des contrats de recherche passés, nous obligent à des recherches sur place que nous ne pratiquons pas. Les manques occasionnés dans les généalogies peuvent être en revanche comblés par la consultation de bases de données et de relevés généalogiques partagés par les associations locales de ces pays.

A l’heure actuelle, nous avons effectué des recherches en Belgique (archives), dans les anciennes colonies comme l’Algérie Française (archives), en Espagne (bases de données), en Suisse (bases de données) et en Pologne (bases de données). Les recherches à l'étranger ne sont pas garanties, mais peuvent être sous-traitées en supplément à la demande du client.

Une mise en forme originale

L’ensemble des informations obtenues est ensuite rentrée sur Gramps, logiciel libre de généalogie “orienté événement” (l’appellation nous est propre) permettant le travail d’un nombre infini de types de données, au contraire du format quasi-fossile du gedcom, datant des années 1990 et limité aux données généalogiques classiques. Gramps permet d’associer à un individu, à une famille ou à un groupe d’individu un événément, c’est à dire un objet comportant une date, un genre (naissance, résidence, élection, le champ étant libre et modulable à l’infini), un lieu (les lieux étant des fiches déterminés pouvant gérer les variantes au fil de l’histoire), une description et des sources. Cet événement pouvant être partagé, il devient donc possible, dans une seule base de données, de réunir l’ensemble des informations obtenues dans des objets réguliers, et non plus dans des amas de notes, et de travailler sur ces données. Pour chaque individu, nous obtenons une véritable fiche de vie chronologique, où se succèdent les mentions et les informations laissées par une personne au cours de son histoire dans les différents fonds d’archives qui l’ont vu passer.

Exemple de fiche individuelle sur Gramps

Exemple de fiche individuelle sur Gramps

Une fois les données brutes transposées dans le logiciel, la base est retravaillée en une nouvelle synthèse basée sur le regard du chercheur et non plus sur les archives : les différentes mentions successives de profession sont par exemple regroupées en périodes de travail, les dites appellations de professions sont simplifiées dans des catégories qui nous sont propres (les “journaliers” des mines et les ouvriers mineurs sont regroupés sous le terme “Ouvrier des mines”, suivi de la mention d’origine entre parenthèses). Il en va de même pour les lieux de résidence qui, une fois unifiés, permettent de mieux perçevoir l’implantation géographique et les déplacements d’une même famille.

Liste d'événements de profession synthétisés sur Gramps

Liste d'événements de profession synthétisés sur Gramps

Une fois le travail de synthèse effectué, le champ est libre pour créer un rapport de recherche approfondi. Nous rédigeons une synthèse des différents parcours rencontrés dans la famille au regard des parcours généraux pouvant être rencontrés dans le domaine : sur la vie militaire et, selon les cas, les bouleversements historiques, sur la vie professionnelle et sur la géographie familiale. Une petite histoire de famille est ainsi réalisée à la fois dans le particulier et dans le général.